Plaidoyer pour Verdun

Retour sur des Assises. Et sur une polémique ...
dimanche 31 mars 2019
par  Franck SCHWAB
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Du 25 au 27 mars 2019, se tenaient à Bordeaux les Assises Pédagogiques du Centenaire qui ont dressé le bilan des quatre années de commémoration de la Grande Guerre au sein de l’Education nationale.

La veille de leur ouverture, éclatait la polémique sur la disparition - supposée pour les uns, avérée pour les autres - de la bataille de Verdun des prochains programmes d’histoire de la classe de Première …

Les Assises du Centenaire ont été une franche réussite.

Elles ont montré sur trois jours ce que l’Education nationale peut faire, et sait faire, de mieux quand tous ses acteurs - enseignants du premier et du second degré, universitaires, administratifs, responsables de sa structure hiérarchique - travaillent main dans la main pour chercher à atteindre ensemble un but commun, ce qui - il faut bien le reconnaître - arrive assez rarement à l’intérieur de notre Maison.

Avec près de 2000 projets pédagogiques de toutes sortes labellisés entre le début et la fin de la période de commémoration, les Assises ont pu rendre compte d’un engagement tout à fait impressionnant.

Dans cette réussite d’ensemble, notre académie de Nancy-Metz se taille une belle place, puisque avec 103 projets pédagogiques soumis à la Mission du Centenaire et 91 labellisés, elle se retrouve, dans un classement non officiel, au sixième rang national des porteurs de projets, à peu-près à égalité avec Amiens (106 projets soumis, 102 labellisés) mais derrière Clermont-Ferrand (139 et 114) et les très grosses académies que sont Toulouse (210 et 172), Lille (154 et 144) ou Lyon (118 et 107).

De manière pratique, le bilan des actions menées a été établi à travers une demi-journée d’ateliers et toute une série de tables rondes échelonnées sur l’ensemble des autres demi-journées (voir le programme des Assises ci-joint).

Ces dernières ont mêlé universitaires, enseignants de terrain, référents "mémoire et citoyenneté", partenaires et responsables académiques ou nationaux de l’Education nationale, dans une réflexion très souvent passionnante qui portait sur la nature, l’élaboration, le sens et le devenir des actions éducatives conduites.

Si notre collègue du service éducatif du mémorial de Verdun, Nicolas Czubak, a pu animer deux ateliers ("L’accueil des scolaires aux archives et au musée" et "Le numérique pédagogique et le Centenaire"), on doit néanmoins regretter que notre académie n’a jamais été représentée à travers l’un de ses membres dans les différentes tables rondes qui se sont succédé.

Il y a eu là un hiatus manifeste par rapport au nombre de projets portés dans notre région ; un hiatus manifeste aussi par rapport à l’importance de Verdun dans l’histoire de la Première Guerre mondiale.

Ce double hiatus ne peut qu’interroger.

Il serait tout à fait imbécile d’y voir une quelconque volonté d’exclusion de la part des organisateurs des Assises et, encore plus, un tortueux "complot" ourdi contre la mémoire de Verdun.

La réponse est ailleurs, presque à coup sûr, dans le point commun que partageaient toutes les personnes invitées aux tables rondes : celui d’avoir, à partir de leur territoire, "pensé", chacune dans son domaine, le Centenaire et d’être porteuses d’une mémoire renouvelée du conflit grâce à la réflexion qu’elles ont su entreprendre au bon moment.

Or, on peut se demander si, nous Lorrains, n’avons pas manqué le coche sur ce plan pour finir par en payer le "prix fort" à travers notre absence dans les tables rondes.

Il m’apparait en effet certain que, tout au long du Centenaire, notre académie a beaucoup investi sur les petits projets pédagogiques et les grandes opérations commémoratives du style "4000 jeunes pour Verdun", mais assez peu sur la réflexion scientifique et didactique, comme l’a montré, sur le moment, l’intérêt tout relatif porté au colloque "Enseigner et commémorer la bataille de Verdun de 1918 à nos jours" (documents ci-joints) que notre Régionale a organisé en 2016 pour chercher à "penser" la bataille de Verdun dans une perspective civique et européenne.

Ce fut là le seul colloque organisé dans la sous-préfecture meusienne durant toute l’année du Centenaire (à l’exception d’un second consacré quelques mois plus tard aux services de santé).

Il fut cependant "snobé" par le directeur du centre mondial de la paix qui l’hébergeait et qui nous laissa, jusqu’à la veille, dans l’incertitude de savoir si nous devrions installer nous-mêmes ou non les chaises et le matériel attribués pour la manifestation.

Et le recteur de l’époque, lui-même, ne jugea pas nécessaire de venir au colloque, ni surtout de s’y faire représenter, comme a dû le souligner l’Est Républicain du 28 février dans son édition de Verdun.

Nous étions pourtant alors à cent ans et une semaine, jour pour jour, du début d’une bataille dont près de 2000 rues françaises portent le nom …..

C’est ce manque d’intérêt pour la réflexion scientifique et didactique sur la bataille que la mémoire de Verdun a payé aux Assises de Bordeaux.

C’est ce même déficit de réflexion qui explique aussi, je le crois, l’absence de Verdun dans les nouveaux programmes d’histoire pour la classe de Première.

Car, il ne faut pas se faire d’illusions : si rien ne change, Verdun ne sera quasiment plus enseigné aux lycéens à partir de la prochaine année scolaire.

Il faut en effet regarder avec lucidité la situation actuelle.

Certes, le nom de Verdun n’apparaissait déjà plus dans les programmes de 2010, mais aucune autre bataille n’y était également nommée et les collègues pouvaient assez facilement prendre l’exemple de Verdun pour aborder "l’expérience combattante dans une guerre totale", ce qu’ils faisaient quasiment tous.

Désormais, par contre, tout devient différent : les nouveaux programmes (voir le document joint : "Futur programme de 1ère Générale") imposent pour chaque chapitre des "Points de passage et d’ouverture" qui sont des points d’étude "obligés".

Pour le premier chapitre de la Première Guerre mondiale, consacré aux opérations militaires, ce sont : Tannenberg, la Marne, les Dardanelles, la Somme et la dernière offensive allemande de 1918.

Mais l’étude de la Première Guerre mondiale comporte encore deux autres chapitres (sur "Les sociétés en guerre" et sur le retour à la paix) avec six points de passage supplémentaires, les trois chapitres du thème complet devant être traités en 11 à 13 heures.

A partir de là, quel temps le professeur pourra-t-il trouver pour parler de Verdun, s’il souhaite vraiment le faire ? (car ce qui est écrit dans un programme oblige, ce qui n’y est pas écrit n’oblige pas). Ce sera mission impossible.

Concernant la Première Technologique à laquelle on pense toujours moins que la Première Générale mais qui accueille, elle aussi, un grand nombre d’élèves (et donc de futurs citoyens), les choses sont encore plus limpides (voir document joint : "Futur programme de 1ère Technologique").

Le professeur aura cinq à sept heures pour traiter "La Première Guerre mondiale et la fin des empires européens".

Il devra en consacrer les deux tiers pour faire son cours, puis prendre le tiers restant pour aborder un sujet d’étude qu’il devra choisir entre la "bataille de la Somme" et "l’Autriche-Hongrie de 1914 au traité de Saint-Germain".

Voilà ! Les lycéens des classes technologiques de Verdun étudieront la bataille de la Somme - ce qui est normal - mais n’étudieront QUE la bataille de la Somme - ce qui l’est beaucoup moins - sauf si, férus d’exotisme "Mittleuropa" et amateurs de défis pédagogiques corsés, leurs enseignants ne cherchent à les initier à l’histoire subtile et complexe d’un Etat multi-ethnique agonisant dont le souvenir n’a jamais occupé qu’une place très modeste dans la mémoire française …..

Toutes velléités d’humour rentrées, nous croyons nécessaire, à la Régionale de Lorraine de l’APHG, de redonner toute sa place à Verdun dans les programmes de Première Générale et Technologique qui entreront en vigueur à partir du 1er septembre prochain.

Techniquement, la chose est assez simple à accomplir : il suffit de remplacer l’étude de l’Autriche-Hongrie par l’étude de Verdun dans le programme de Première Technologique, et de mettre, dans le programme de Première Générale, Verdun à la place de Tannenberg ou des Dardanelles comme "point de passage et d’ouverture".

Rétablir Verdun dans les programmes serait une "bonne action" à double titre.

Une "bonne action" pour l’Histoire d’abord.

Car les faits historiques ont une importance intrinsèque au moment où ils se produisent, et l’importance de Verdun - seule offensive allemande d’envergure sur le front occidental entre 1914 et 1918 - est fondamentale dans l’histoire de la Première Guerre mondiale. "Si le front intérieur allemand se délite sérieusement après Verdun, c’est bien que l’espoir avait été grand d’obtenir une paix victorieuse. Il convient, notamment de se souvenir des offres de paix allemandes de décembre 1916 pour comprendre ce que l’Empire souhaitait réaliser à Verdun" a ainsi rappelé lors de notre colloque du 27 février 2016 le professeur François Cochet dans son intervention ("Verdun, la bataille de tous les paradoxes").

Une "bonne action" pour l’Europe ensuite.

Car Verdun a été "LA bataille franco-allemande de la Première Guerre mondiale, et sûrement le lieu de mémoire franco-allemand le plus important de cette guerre" nous a dit le docteur Rainer Bendick dans sa propre intervention à notre colloque ("La figure du combattant de Verdun dans les manuels scolaires français et allemands"), l’historien allemand ajoutant : "Nous ne présentons plus l’autre comme l’ennemi, mais en enseignant la bataille de Verdun, nous voulons préparer nos élèves à leur présent et aux défis de l’avenir comme nos ancêtres professionnels l’ont fait en réponse à leur perception. L’histoire est toujours enseignée au présent."

Or, le présent de nos élèves, c’est l’Europe ; et l’Europe, c’est d’abord et avant tout le tandem franco-allemand.

Ne plus faire étudier systématiquement à nos enfants la bataille qui a représenté, dans l’histoire de l’Europe, le summum de l’affrontement guerrier entre nos deux pays, serait très un mauvais coup de plus porté à l’idée européenne.

Et celle-ci n’en a vraiment pas besoin en ce moment.

Franck Schwab
Chevalier de l’Ordre des Palmes académiques
Président de la Régionale de Lorraine de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG)
Membre du conseil de gestion de l’APHG
Président du comité d’organisation des "Agoras de l’APHG en Lorraine"


Documents joints

Programme des Assises du Centenaire
Futur programme de 1ère Générale
Futur programme de 1ère Technologique
Couverture des actes de Verdun
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4ème de couverture

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