Passeurs et filières en Moselle pendant la Seconde Guerre mondiale

par Francis Petitdemange (atelier des Agoras).
dimanche 17 novembre 2019
par  fred131
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Le verso du supplément n°1 au bulletin n°87 de juillet 2019 édité par la chaîne de la mémoire (voir le site de cette association avec http://lachainedelamemoire.free.fr) localise l’emplacement du Centre de congrès de Metz avec une vue aérienne verticale prise le 29 juin 1918 au-dessus de la gare de Metz (un document de la Collection Paul Costa). Cette photographie montre une configuration des lieux très différente de celle d’aujourd’hui pour le quartier dit de l’amphithéâtre où se trouve ce Centre de congrès inauguré en septembre 2018 mais laisse deviner le chantier qui s’est ouvert, de l’autre côté de la gare inaugurée en 1908, dans la « Nouvelle Ville » dessinée et planifiée au début du XXe siècle par la volonté de l’Empereur allemand.

Passeurs et filières en Moselle pendant la Seconde Guerre mondiale

La salle 7, située au 2 e étage du Centre de congrès de Metz, offre une vue sur les bâtiments officiels qui émergent de ce quartier dit impérial avec la tour de l’horloge de la gare qui domine à côté du bâtiment de la poste inauguré en 1910. Un bâtiment massif qui a l’allure d’un château médiéval. A l’arrière-plan, à droite, domine la cathédrale de Metz qui aura 800 ans en 2020.

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Cette vue permet de mesurer l’emprise ferroviaire sur le territoire de la ville de Metz avec un réseau ferré relié à l’Allemagne dès le début des années 1850. Le verso du supplément n°2 au bulletin n°87 de juillet 2019 édité par la chaîne de la mémoire (voir le site de cette association avec http://lachainedelamemoire.free.fr) montre avec une carte germanisée utilisée par un officier allemand pendant la guerre 1914-1918 comment ce réseau ferroviaire a été complété par les Allemands, après l’annexion de 1871, en direction de la frontière lorraine.

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Le lieu où se déroule cette conférence offre donc une vue sur un lieu qui était un point d’arrivée et un point de départ, aux portes de l’Allemagne nazie, pour ceux qui voulaient franchir clandestinement la frontière lorraine dont le point de passage le plus proche était à une quinzaine de kilomètres de cette gare de Metz.

Le cas mosellan

L’étude de cas est habituellement utilisée pour la géographie. Nous l’utilisons pour un objet historique : Passeurs et filières en Moselle pendant la Seconde Guerre mondiale.

Dans l’introduction nous définissons une notion de passeur. Puis nous répondons à ces questions qui constituent une problématique : Où se trouvent les passeurs ? C’est la question de leur localisation.Quels rapports ont-ils avec les composantes de l’espace où ils font passer la frontière ? Il y a en effet des passeurs que l’on peut qualifier de sédentaires et d’autres nomades.Quelles sont les filières ?

Ces réponses s’appuient sur deux travaux : un livre édité en 2003 et une conférence présentée dans le cadre d’un colloque en 2004. Le texte de cette conférence a été publié en 2006.

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Le livre est le résultat d’une enquête qui a permis dans un premier temps d’écrire un
scénario pour un montage audiovisuel réalisé en 2002. Ce scénario a été chapitré et complété pour le livre édité en 2003. Le texte de 2004 détermine des typologies.

Une notion de passeur

Cette notion figure sur les pages 91 et 92 des actes du colloque de 2004.

Le passeur est la personne qui franchit physiquement la frontière de 1871, longue d’environ cent cinquante kilomètres à vol d’oiseau, et rétablie en juillet 1940 entre la Moselle annexée de fait et la Meurthe-et-Moselle située en zone interdite, pour faire passer de manière illicite des hommes, des femmes,des enfants ou du courrier. C’est aussi celle qui, sans faire de franchissement, permet à un « passé » de traverser cette limite interdite et surveillée afin de poursuivre son chemin. Cela exclut donc les membres de filières d’évasion dont la zone d’action se situait avant et après la frontière et qui sont souvent également appelés passeurs.

La carte d’un manuel de géographie sur la France (classe de première, Jean Pelletier, Professeur à l’Université de Lyon II, Jean Virlogeux, Agrégé de l’Université, professeur au Prytanée Militaire de la Flèche, Masson et Cie, 1975, introduction à la géographie des régions de la France, page 70) nous permet d’avoir une topographie des lieux à traverser. La frontière de 1871 rétablie de fait en juillet 1940 a été ajoutée.

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Cette carte des aspects physiques du Nord-Est de la France montre que ce qui est appelé le plateau lorrain est un entonnoir qui capte les prisonniers de guerre évadés en provenance des stalags et des oflags pour les diriger vers la zone dite libre jusqu’en novembre 1942.

1 ère partie : Où se trouvent les passeurs ?

Ils se trouvent sur un axe nord-sud, par exemple entre ces deux rivières que sont la Moselle et la Seille. Un axe qui correspond à la colonne vertébrale de la Lorraine avec en particulier la vallée de la Moselle. Ils se trouvent sur les voies de communication qui sont nombreuses : routes, voies ferrées, canaux, chemins de halage, chemins forestiers, chemins des vignes.

Ils se trouvent dans les villages et les villes qui sont reliés par ces voies de communication entre Metz et Pont-à-Mousson, principalement par la vallée de la Moselle.

Ils se trouvent dans les espaces d’activités que constituent les champs, les vergers, les vignes, les usines, les entreprises artisanales, les moyens de transports, les gares, les églises,...

Ils sont donc à proximité de la frontière ou éloignés de celle-ci selon le type d’activité. Un paysan se trouve à côté, voire sur la frontière. Un roulant de la SNCF ou de la Reichsbahn peut résider assez loin de la frontière.

2 e partie : Quels rapports ont-ils avec les composantes de l’espace où ils font
passer la frontière ?

Ce sont les liens professionnels, familiaux, sociaux de ces passeurs avec leur environnement. Ces rapports sont liés à la résidence et à l’activité mais aussi à l’âge, à l’appartenance sociale, ....

Le paysan connaît son territoire et connaît les dispositifs de surveillance, de même que les hommes qui assurent la surveillance et les contrôles. Son rayon d’action est rural et longe une portion de la frontière. C’est l’exemple d’Auguste Borsenberger qui habite la ferme isolée de Marly-aux-Bois sur le territoire de Cheminot. La lisière d’un bois de huit hectares se trouve sur la frontière lorraine entre la zone annexée et la zone interdite, entre la Moselle annexée et la Meurthe-et-Moselle occupée par l’armée allemande. Auguste Borsenberger est un passeur qui montre le chemin sans franchir cette frontière.

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Il en est de même pour le garde-champêtre ou le vigneron.

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Photographie extraite de Paul de Busson, Michel Laurillard, La Terre aux Souliers, Editions Serpenoise.

Ces résidents locaux connaissent beaucoup de leurs concitoyens et sont également connus. Il en est de même également pour les artisans et les commerçants locaux qui ont leurs champs, font leur bois, participent aux vendanges ... Ces relations sociales nombreuses et la nature de leur activité ne peuvent que favoriser les sollicitations.

La situation est différente pour ceux qui ne résident pas sur place et qui utilisent donc les voies de communication ou travaillent sur les voies de communication. Leur rayon d’action est plus limité : c’est une route, une voie ferrée, un canal, ... C’est le cas de Roger Troisième qui réside à Blénod-lès-Pont-à-Mousson.

L’ouvrier connaît l’itinéraire qu’il emprunte chaque jour pour se rendre sur son lieu de travail. Roger Troisième monte dans le train en zone occupée à Blénod-lès-Pont-à-Mousson où il réside chez ses parents. Ce train emprunte une ligne ferroviaire mise en service en 1850 entre la ligne Paris-Strasbourg et Metz. Roger troisième passe donc la frontière rétablie de fait en juillet 1940 à la douane de Novéant-sur-Moselle avec une autorisation délivrée par les autorités allemandes afin qu’il se rende à la fonderie d’Ars-sur-Moselle. Il a pu observer les habitudes des services de contrôles allemands à la douane.

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Roger Troisième et son ami Emile Guistinati sont à l’origine de deux bornes posées après la Seconde Guerre mondiale. L’une est posée à Novéant-sur-Moselle et la seconde à Pont-à-Mousson (voir le documentaire La LGV et le TGV sur la frontière et le front de l’Est qui montre une cérémonie qui s’est déroulée près de la borne de Pont-à-Mousson en 2004 : un montage audiovisuel que l’on pourra prochainement visionner sur le site : http://lachainedelamemoire.free.fr). Un coup de téléphone donné à Roger Troisième le samedi 5 janvier 2008 suite à l’écoute des vidéos des entretiens effectués en 2002 et surtout en 2003 avec Emile Guistinati (page 100 du livre les Passeurs) permet de mieux cerner la situation du passage de la frontière par le train à Novéant-sur-Moselle. Voici un extrait de cet entretien : «  Le soir, au retour du travail, dans le train Metz - Nancy, les gens restaient dans le train. A l’arrêt à Novéant, c’était la fouille dans le train : fouille des valises. Au début, c’était encore possible d’avoir les genoux serrés, les prisonniers étaient sous les banquettes. La fouille durait une heure. Sauf pour ceux de Novéant qui descendaient du train ».

Le montage audiovisuel réalisé le 22 janvier 2009 et repris le 18 janvier 2018,
d’une durée de 9 minutes 30 secondes, sera prochainement déposé sur le site http://lachainedelamemoire.free.fr

Les passeurs n’ont donc pas forcément d’attaches familiales ni de relations sociales
nombreuses dans les bourgs frontaliers. Les sollicitations dont ils font l’objet ne sont donc forcément pas locales.

3 e partie : Quels types de passeurs peut-on dégager de cette étude ?

Il y a des passeurs que l’on peut qualifier de sédentaires et d’autres de nomades.

Des passeurs sédentaires

Les passeurs sédentaires habitent dans les communes frontalières ou proches de la frontière mais aussi dans les fermes isolées qui longent cette limite. Ils connaissent les lieux, le tracé de la frontière, les habitudes et les heures de passage des douaniers qu’ils fréquentent et qu’ils amadouent avec des victuailles ou du charbon.

Des passeurs itinérants

Les passeurs itinérants résident à l’intérieur de la Moselle annexée et sont éloignés de la frontière elle-même. C’est leur emploi qui leur permet de traverser cette limite. Ils utilisent principalement les voies de communication et les facilités que leur offrent les laissez-passer qui leur sont délivrés. C’est le cas de Jacques Salm. Parmi ces passeurs itinérants, on trouve de nombreux Meurthe-et-Mosellans qui se recrutent parmi les ouvriers qui vont travailler en Moselle annexée ; c’est le cas de Roger Troisième qui réside à Blénod-lès-Pont-à-Mousson et travaille à Ars-sur-
Moselle.

4 e partie : Quelles sont les filières ?

Le passeur peut faire partie d’une ou plusieurs filières sans le savoir. L’enquête menée entre 2000 et 2002 avec Monsieur Jean-François Genet, vidéaste, originaire de Novéant-sur-Moselle, a permis de rencontrer essentiellement des passés. C’est donc à travers le témoignage de passés que s’est écrit le scénario du film monté en 2002. Ces passés avaient des souvenirs qui ont permis de repérer des itinéraires et d’avoir des noms de personnes appartenant à des filières plus ou moins organisées, plus ou moins régulières, comme le précise l’ouvrage édité en 2003. On peut trouver certains de ces itinéraires dans les journaux tenus par des évadés, tel celui de Maurice Bayen qui raconte son passage par Novéant-sur-Moselle dans un livre dont j’ai eu connaissance en juillet 2019 et qui s’intitule Passage de lignes édité chez Gallimard en 1946, ou celui de Pierre Planche déposé par son petit-fils sur un réseau social en juillet 2019 et que l’on peut trouver avec cette adresse :
https://www.google.com/maps/d/viewer?fbclid=IwAR01IAs5XC4kvQI0eiKonvK4dXHOdaEWmn3JqWxVNbIdezj
bCifeqCzikVI&mid=1zj-125-cRvhZ9XjRyGA6saKZsGT7j6B9&ll=49.09272163110604%2C7.4303588100585785&z=12

Les filières sont diverses mais en Moselle on peut repérer principalement deux types de filières qui concernent les passages massifs : celles pour les prisonniers de guerre évasés et celles pour les réfractaires à l’incorporation de force dans l’armée allemande. Des filières auxquelles fait allusion le supplément n°2 du bulletin n°90 d’octobre 2019 de la chaîne de la mémoire en citant Jean Garcia, prisonnier de guerre évadé et Jean Salm, mosellan déserteur de la Wehrmacht.

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Montage audiovisuel de 8 minutes 30 secondes réalisé en janvier 2008 qui sera
prochainement déposé sur le site http://lachainedelamemoire.free.fr

L’itinéraire de Jean Salm ne figure pas dans le livre édité en 2003. Comme il le raconte dans l’entretien dont des extraits figurent dans ce montage audiovisuel réalisé en en janvier 2008, il a réussi à passer la frontière à Novéant-sur-Moselle grâce à son oncle Jacques Salm.

Jean Garcia, originaire du Gard, est un prisonnier de guerre évadé qui a été repris devant Novéant-sur-Moselle avant de s’évader une nouvelle fois et de passer la frontière sur un autre lieu grâce à une filière, l’une de celles organisées par Sœur Hélène, une figure de la résistance mosellane.

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Conclusion

Le cas mosellan peut se retrouver avec quelques nuances différentes sur cette même frontière, entre l’Alsace annexée et le département des Vosges qui est en zone interdite. On peut trouver des points communs et des différences avec d’autres frontières comme celle entre la France occupée et la Suisse ou encore avec la ligne de démarcation.


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