Souviens-toi de Tannenberg !

Verdun, dans les manuels, un an après.
lundi 1er juin 2020
par  Franck SCHWAB
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« La Première Guerre mondiale : le "suicide de l’Europe" et la fin des empires européens » est le quatrième et dernier thème du nouveau programme d’histoire pour la classe de Première.

Ce thème est important puisqu’il représente, à lui seul, le quart du programme d’histoire de l’année et tous les manuels que l’on peut consulter ne lui consacrent pas moins de 80 pages de textes et de documents qu’il s’agisse des manuels Belin, Magnard, Hatier, Hachette, des deux Nathan ou du Livrescolaire.

Bref, dans chacun de ces ouvrages, la Première Guerre mondiale est étudiée en détail, de façon très exhaustive.

On aurait donc dû s’attendre à ce que la bataille de Verdun y trouvât une place, sinon centrale, tout au moins honorable, puisqu’elle fut la seule offensive allemande d’envergure sur le front de l’Ouest entre 1914 et 1918, que le sort de la guerre s’y joua un court moment, qu’y tombèrent le plus grand nombre de soldats français de tout le conflit, et que sa mémoire fut l’un des ciments de la réconciliation franco-allemande dans la deuxième moitié du XXème siècle.

Certes, des inquiétudes s’étaient manifestées, l’an passé, lorsqu’il fut constaté, à la publication du programme, que la bataille était absente des "Points de Passage et d’Ouverture" (PPO), cette nouveauté didactique qui demande à l’enseignant d’aborder obligatoirement, dans l’étude des différents thèmes, certains personnages ou événements précis.

Concernant les combats de la Première Guerre mondiale, la Marne et Tannenberg appartenaient à ces PPO, de même que les Dardanelles et la Somme, mais pas Verdun.

De multiples côtés vinrent alors toute une série d’assurances qui certifièrent que la bataille était incontournable et que ce n’était pas parce qu’elle ne se trouvait pas dans les Points de Passage et d’Ouverture qu’elle ne serait pas enseignée. Bien au contraire !

Or, au moment où nous nous lançons dans la préparation de nos derniers cours de l’année, qu’en est-il vraiment lorsqu’on se plonge dans les manuels ?

On est obligé de constater qu’elle n’est présente dans aucun d’entre eux, à la seule exception du Belin qui l’évoque, par la bande, à travers le regard du peintre Félix Vallotton. Le même manuel, en outre, reproduit une photo de l’inauguration de l’ossuaire de Douaumont et propose l’analyse d’une affiche de 1919 représentant la ville en partie détruite. Le Belin se singularise aussi - il faut le souligner - en étant le seul à traiter les mutineries de 1917 qui, dans un passé très récent, faisaient pourtant encore couler beaucoup d’encre.

Pour tous les autres manuels, c’est le grand vide ! Dans leurs quatre-vingt à quatre-vingt-dix pages sur la Première Guerre mondiale, les mutineries n’ont pas existé, et la bataille de Verdun à peine plus, si ce n’est au détour d’une ou deux phrases très vite "expédiées".

Par contre - PPO, obligent - tous les manuels consacrent une page ou une double page détaillée à la bataille de Tannenberg qui fut certes importante en rendant possible, pour nous Français, le "miracle" de la Marne mais qui n’est peut-être pas, dans la mémoire franco-allemande, un événement majeur.

Faut-il pour autant jeter la pierre à nos auteurs de manuels ? Pas du tout. Ils se contentent de faire ce qu’on leur demande de faire, c’est-à-dire préparer les élèves aux questions sur lesquelles ils seront interrogés. Or, la bataille de Verdun n’en fait pas partie puisqu’elle n’appartient pas aux Points de Passage et d’Ouverture.

Son absence des PPO est un choix qui doit sûrement pouvoir se justifier, mais encore faut-il qu’il soit clairement assumé dans la perspective de la formation de nos élèves à une authentique citoyenneté française et européenne. Car, au bout du compte, si tous sauront en fin de classe de Première ce qu’a été Tannenberg, plus aucun, ou presque, ne saura ce qu’a été Verdun.

Après le soldat inconnu, la bataille inconnue ?

C’est pour le moins regrettable l’année où l’on s’apprête à célébrer le centenaire de l’inhumation de ce même soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe.

Franck Schwab
Président de la Régionale de Lorraine de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG)


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