Fermé comme une huitre !

Recension de l’ouvrage d’Andrea Ricardi, "La guerre du silence. Pie XII, le nazisme et les Juifs, Les éditions du Cerf, 2023, 392 pages, 25 euros.
lundi 4 décembre 2023
par  Franck SCHWAB
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Elu pape en mars 1939, Pie XII se refusa tout au long de la guerre à faire la moindre déclaration publique contre les crimes commis par les nazis ou leurs supplétifs, que ce soit à propos de la destruction de l’identité nationale polonaise - dont le catholicisme était pourtant un élément majeur - entreprise par Hitler dès le début du conflit ; de la barbarie génocidaire de l’Etat croate "national-catholique" à l’égard des populations serbe, juive et rom ; ou surtout de la Shoah elle-même sur laquelle l’ouvrage nous confirme que le Vatican a été très tôt bien informé par de multiples canaux.

Dans ce dernier cas, l’humiliation suprême infligée par les Allemands à Pie XII se produisit le 16 octobre 1943 avec la rafle des Juifs de Rome - dont le pape se voulait historiquement le "protecteur" - effectuée sous les fenêtres mêmes du Vatican (que Pie XII, on imagine, demanda à ses serviteurs de fermer pour ne rien avoir à entendre).

Si l’ouvrage rappelle cruellement tous ces faits, il ne se veut pas à charge à l’égard d’un homme que le représentant américain au Vatican voyait pourtant « fermé comme une huitre » à toute idée de protestation contre les crimes nazis.

Mais l’impression qui en ressort est d’autant plus désastreuse pour le chef de l’Eglise catholique et on comprend facilement pourquoi sa béatification reste bloquée depuis soixante ans.

Pour résumer une analyse complexe, l’auteur explique le mutisme obstiné du pape sur les crimes nazis par quatre raisons principales.

En premier lieu, la politique "d’impartialité" de la papauté à l’égard des belligérants :

Il y a des catholiques dans tous les camps et il ne faut fâcher personne afin de ménager l’avenir.

C’est, en gros, la reprise de la politique qui avait été conduite avec un certain succès pendant la Première Guerre mondiale.

Mais les temps n’étaient bien sûr plus les mêmes ...

En second lieu, la peur panique de conséquences désastreuses pour les intérêts catholiques - et pour les populations victimes - en cas de prise de parole contre le nazisme, cette même peur panique qui faisait alors dire aux partisans de Pétain que la France se ferait "poloniser" si elle ne se pliait pas à toutes les exigences de Hitler.

En troisième lieu, la persistance d’un courant antisémite (ou anti-judaïque, mais la différence ici n’est pas fondamentale) puissant au Vatican qui faisait entendre dans l’entourage du pape les couplets bien connus sur la tendance à l’exagération des Juifs et leur insupportable goût de la provocation qui faisait de l’antisémitisme essentiellement leur faute.

En d’autres termes, Pourquoi risquer de mettre en danger l’Eglise catholique en prenant la défense de gens qui sont responsables de leur malheur ? faisait entendre comme "petite musique" ce courant qui se maintiendra contre vents et marées jusqu’au grand ménage de Vatican II - comme le souligne de manière très neuve l’auteur - et qui fut à l’origine des filières d’évasion vers l’Amérique du sud dont ont profité maints criminels de guerre une fois leur défaite consommée.

En quatrième lieu, le caractère même du pape, selon un proche « de nature doux et plutôt timide [qui] n’avait pas reçu en naissant la trempe d’un lutteur. »

Mais c’était aussi un homme intelligent, fin et lucide à qui ses problèmes de conscience n’ont pas dû manquer de lui faire passer un certain nombre de nuits blanches.

Rien n’y fit pourtant et Pie XII resta jusqu’au bout "fermé comme une huitre" !

Un maître livre où l’auteur, dépassant la question de la seule responsabilité morale du pape, écrit pour conclure : « Telle est notre histoire européenne, composée d’erreurs, d’énormes souffrances de personnes ayant pris leurs responsabilités, ayant lutté à mains nues contre le mal, mais aussi d’individus restés indifférents ou ayant tué, exterminé ou coopéré à la mort dans des proportions inimaginables. Il ne s’agit ni de condamner ni d’absoudre. Le travail d’un historien n’est pas celui d’un juge et ne se conclut pas sur un verdict. D’autres penseront autrement, mais ce qui importe, c’est que l’on continue d’étudier l’histoire de ces années capitales pour comprendre ce qu’est l’Europe, ce qu’elle ne doit pas devenir ou comment elle doit être. »

A l’aune de cette réflexion, Pie XII n’a ni tué ni été indifférent mais il a laissé faire en pleine conscience et c’est assez désespérant si on se place naïvement par rapport au volet moral de sa fonction.

Même s’il l’a peut-être rêvé, il n’a pas été le saint qui aurait pu proposer de se livrer à la place des juifs de Rome.

Franck Schwab


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