Le 6 février 1934 : un non-événement, vraiment ?

Recension de l’ouvrage d’Olivier Dard et de Jean Philippet, "Février 34. L’affrontement", Fayard, 2024, 746 pages, 34 euros.
mardi 20 février 2024
par  Franck SCHWAB
popularité : 39%

Cette recension n’engage bien sûr que son auteur.

« Le 6 février n’est qu’une manifestation qui a mal tourné » (p.553), « Ce serait commettre une erreur que de croire que les manifestations du 6 février constituent en soi [un] recours à la violence » (p.576), « Autant dire que du côté des manifestants, la mobilisation n’a guère dépassé le cadre d’une protestation violente avec ses signes habituels » (p. 580), « Contrairement à la légende que le parti [communiste] forgera, le 6 février n’a pas engendré le Front populaire » (p.607).

Au terme de leur étude, la messe est dite pour les auteurs de ce livre : l’assaut de la chambre des députés le 6 février 1934 - depuis la place de la Concorde principalement - par les ligues d’extrême-droite, auxquelles s’étaient mêlés plusieurs cohortes d’anciens combattants et un certain nombre de badauds, n’a été qu’un non-événement dont l’importance a tout de suite été exagérée par les contemporains.

En affirmant cette "vérité", ils se placent dans la filiation directe de René Rémond qui, dans son célèbrissime Les droites en France (rééd. 1982), écrivait déjà : « Le 6 février n’est pas un putsch, à peine une émeute, simple manifestation de rue que l’histoire aurait oubliée et qui aurait été très vite effacée de la mémoire collective si elle n’avait tourné tragiquement » (citation reprise p.585).

Ce constat définitif établi par les auteurs apparaît pourtant d’autant plus étonnant que toute la première partie de leur gros ouvrage décrit par le menu, et de manière plutôt objective, un véritable "printemps", voire quasiment un "Mai 68" des droites parisiennes, dans un contexte de contestation virulente de la majorité "néo-cartelliste" du Parlement (gouvernements radicaux francs-maçons soutenus sans participation par le parti socialiste SFIO).

Ils montrent bien ainsi que le 6 février n’a été que l’acmé d’une vague de manifestations violentes, dont l’affaire Stavisky a été le déclencheur - sinon le prétexte - et qui a duré tous les mois de janvier et février, sans qu’elle se soit véritablement conclue, comme ultérieurement, par un "30 mai" sifflant la fin de la partie.

Le bilan tragique de la manifestation du 6 février (18 morts chez les manifestants, 1 chez les forces de l’ordre) pose de nombreuses questions et les auteurs passent, avec raison, beaucoup de temps à discuter des responsabilités des uns et des autres.

S’ils font un sort à la présence de mitrailleuses du côté des forces de l’ordre, comme de cannes munies de lames de rasoir du côté des manifestants, ils consacrent cependant beaucoup plus de pages à débattre de la présence des mitrailleuses que des lames ce qui, par un tel procédé, peut malheureusement conduire in fine le lecteur à douter de l’absence effective des mitrailleuses...

De même, s’ils font également un sort à l’existence de complots - vraiment élaborés, en tout cas - de droite comme de gauche (le complot de gauche aurait visé à faire tomber les ligues dans un traquenard en renvoyant le préfet Chiappe pour provoquer un bain de sang et imposer dans la foulée un régime "jacobin" fort), ils consacrent bien plus de temps à débattre du fantaisiste complot de gauche que des différents complots de droite dont certains étaient nettement plus crédibles.

Comprenne qui pourra...

Surtout, les auteurs ne prennent pas la peine de discuter les thèses du dernier ouvrage majeur paru sur le 6 février - et il n’y en a pas eu beaucoup - celui des Britanniques Brian Jenkins et Chris Millington, France and Fascism. February 1934 and the dynamics of political crisis (titre mal traduit dans notre langue par Le fascisme français. Le 6 février 1934 et le déclin de la république, Editions critiques, 2020) qui avance d’autres vérités, difficiles à ignorer.

D’abord, que le 6 février a entrainé une polarisation très forte de la droite et de la gauche aux extrêmes qui durera tout au long de la si mouvementée décennie 1934-1944.
Ensuite et surtout, qu’un vrai complot d’ampleur n’était pas nécessaire pour que le régime fut renversé le 6 février.
Enfin, que la capillarité des idées anti-libérales (on dirait aujourd’hui "illibérales") entre toutes les droites parisiennes - ligueuses, municipales, parlementaires mais aussi ancien combattantes - était très forte, ce qui conduira peu ou prou à une "union de toutes les droites", dès le gouvernement Daladier de 1938, puis surtout lors du gouvernement de Vichy (en dépit du cavalier seul des "collaborationnistes").
Si cet ouvrage est brièvement cité en introduction, aucune allusion n’est cependant plus faite à lui par la suite, et c’est bien dommage.

Les auteurs pouvaient-ils enfin évoquer l’événement sans s’intéresser à la mémoire que ses acteurs en avaient eux-mêmes gardé ?
La mémoire d’un Darquier, dit "de Pellepoix", futur Commissaire aux questions juives de Vichy, qui dut son ascension politique à la "bonne blessure" obtenue le soir du 6 février.
La mémoire d’un Robert Brasillach qui, dans Notre avant-guerre, publié en 1941, écrivit (passage cité par Jenkins et Millington) : « Pour nous, nous n’avons pas à répudier le 6 février. Chaque année, nous allions déposer des violettes sur la place de la Concorde, devant cette fontaine devenue cénotaphe, à la mémoire des vingt-trois morts [18, en réalité]. Chaque année, la foule diminue, car les patriotes français sont par nature oublieux. Seuls les révolutionnaires ont compris le sens des mythes et des cérémonies. Mais si le 6 février est une intrigue malveillante [le fameux complot de gauche !], c’était aussi une nuit de sacrificateurs, qui reste dans notre mémoire avec son odeur, son vent froid, ses visages pâles de tous les jours, ses groupes d’humains sur le trottoir, son invincible espoir de Révolution nationale, la naissance même du nationalisme social dans notre pays. Qu’importe que plus tard, tout ce feu ardent, la pureté de ceux qui sont morts, devait être exploité à la fois par la droite et par la gauche. On ne peut pas empêcher d’être ce qui a été. »
Ces envolées tristement lyriques avaient au moins le mérite de la clarté.

On doit attendre l’une des dernière pages de l’ouvrage (p.604) pour que les auteurs reconnaissent subrepticement - mais enfin franchement - que la « véritable dimension historique » de « l’affaire » [le 6 février] « a vu en l’espace de quelques jours - entre le 6 et le 12 février - apparaître puis bloquer le développement d’un authentique mouvement d’inspiration fasciste, le seul qui aurait jamais pu prendre le pouvoir en France sans le concours d’une puissance occupante et qui, en échouant, a entrainé l’émergence d’un fascisme à deux faces : fascisme de ressentiment, de rancoeur, de réprouvés qui s’exprima dans la collaboration, fascisme larvé, avec les habits neufs de l’été 1940 à Vichy, deux fascismes de contrefaçon. »

Ce qu’il fallait vraiment dire : L’échec - relatif - des droites au 6 février nous a fait manquer la naissance d’un authentique fascisme français, tout propre, tout net, tout national.

Doit-on le regretter ou s’en réjouir ? La question semble rester manifestement ouverte pour les auteurs...

Franck Schwab


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